Gilles Lipovetsky
Nous vivons une immense révolution qui agence pour la première fois une civilisation du léger.Le culte de la minceur triomphe ; les sports de glisse sont en plein essor ; le virtuel, les objets nomades, les nanomatériaux changent nos vies. La culture médiatique, l’art, le design, l’architecture expriment également le culte contemporain de la légèreté. Partout il s’agit de connecter, miniaturiser, dématérialiser. Le léger a envahi nos pratiques ordinaires et remodelé notre imaginaire : il est devenu une valeur, un idéal, un impératif majeur.
Jamais nous n’avons eu autant de possibilités de vivre léger, pourtant la vie quotidienne semble de plus en plus lourde à porter. Et, ironie des choses, c’est maintenant la légèreté qui nourrit l’esprit de pesanteur. Car l’idéal nouveau s’accompagne de normes exigeantes aux effets épuisants, parfois déprimants. C’est pourquoi, de tous côtés, montent des demandes d’allègement de l’existence : détox, régime, ralentissement, relaxation, zen… Aux utopies du désir ont succédé les attentes de légèreté, celle du corps et de l’esprit, celle d’un présent moins lourd à porter. Voici venu le temps des utopies light.