Garcia-Bardidia R., Nau J.-Ph., Rémy E. et Roux D. (2017), Que faire des traces de la musimorphose ?

In Philippe Le Guern (coord.), En quête de musique ? Questions de méthode à l’ère de la numérimorphose, Paris, Hermann, 247-259.

 

Résumé 

Après s’être longtemps intéressés aux décisions des consommateurs, de plus en plus de travaux en recherche sur la consommation mettent la matérialité et les objets au cœur des pratiques. Ces recherches permettent de mieux tenir compte du rôle joué par la co-constitution des objets et des sujets dans l’émergence des marchés. Plus rares cependant sont les travaux qui s’intéressent aux liens entre objets, notamment de générations différentes. Leur rencontre avec leurs usagers est pourtant au centre de ces dynamiques. Nous nous proposons d’approfondir cette voie à partir du terrain de la consommation musicale dite digitalisée. Les générations d’objets qui accompagnent ces pratiques y sont un matériau essentiel pour saisir les variations de la musimorphose. Ils supposent cependant de développer des méthodes de collecte et d’analyse dédiées que nous formulons ici comme une micro-archéologie du quotidien.

Mots clés : micro-archéologie, matérialité, pratiques de consommation, musique, téléchargement

 

Introduction

Ce chapitre présente quelques réflexions sur une possible micro-archéologie des pratiques de consommation musicale. Par micro-archéologie, nous entendons, à l’instar de Foucault (2008 [1969]), l’étude de la dynamique de ces pratiques dans leur cadre quotidien, ici à partir des objets passés et présents de cette consommation. Ces derniers sont pris comme autant de traces des arbitrages nécessaires à l’ajustement face aux fortes évolutions, notamment technologiques, que l’industrie de la musique a connu depuis une quinzaine d’années.

Une telle approche fait écho aux travaux de plus en plus nombreux sur la consommation s’intéressant à l’encastrement des pratiques dans leur contexte sociotechnique (Epp et Price, 2010 ; Karababa et Ger, 2011 ; Magaudda, 2011 ; Martin et Schouten, 2014). Ceux-ci s’appuient notamment sur des cadres empruntés à différents courants en sociologie ou en anthropologie centrés sur les usages (Jouët, 2000), les réseaux d’actants (Callon, 1986), la culture matérielle (Miller, 2009) ou les pratiques sociales (Warde, 2005). Il s’agit ici d’en adapter certains principes méthodologiques pour mieux comprendre un contexte technologique particulièrement rapide et foisonnant : celui de la numérimorphose de l’écoute de musique (Granjon et Combes, 2007).

L’intérêt de cette approche est ici illustré à partir d’une étude que nous avons menée pendant huit ans sur la digitalisation de la consommation culturelle. Cette étude repose traditionnellement sur des données issues d’observations et d’entretiens semi-directifs, ainsi que sur un recueil et une analyse plus originale d’objets pris comme traces des formes précédentes des pratiques culturelles des répondants. Dans l’esprit d’une biographie des objets, nous décrivons ici les opérations nécessaires pour les faire passer du stade de rebut à celui de matériau de recherche, c’est-à-dire pour les sortir de leur statut d’objets enterrés, relégués ou refroidis (Mc Cracken, 1988).

La prise en compte de ce matériel permet de reconstituer les arbitrages, les frictions et les associations dans lesquels ces objets s’inscrivent. Il s’agit donc de mieux saisir comment ont lieu des transitions entre usages, ici vers ce qu’on qualifie trop souvent de « dématérialisation », et entre propriété et accès. Les apports de cette perspective et son extension possible vers d’autres objets en recherche sur la consommation sont discutés en conclusion.

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