Lionel Sitz
Lifestyle Research Centre, emlyon business school
This videography offers an ethnography of the Warhammer community. The latter unites passionate players of the board game “Warhammer” and constitutes an interesting case because of the strong embeddedness between the brand and its community. After presenting the community, the videography explains why the community is a brand community and presents the links between its members and the brand. Finally, it presents the existing tension between the communitarian dimension and the mercantile reality of the relationship.
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Warhammer, vidéographie d’une communauté de marque
Introduction
Crée en 1983 par les Britanniques Steve Jackson et Ian Livingstone, Warhammer est un jeu de rôle sur plateau inspiré de l’univers de Donjons et Dragons. Les joueurs sont invités à composer des armées qui s’affrontent au cours de scenarii pré-établis. Dans le cas de Warhamme, les joueurs sont des passionnés qui forment une vaste communauté de marque (Muniz et O’Guninn, 2001). Ils se rencontrent régulièrement pour jouer, discuter de leur passion, échanger des figurines ou simplement passer un moment convivial.
Comme dans toute communauté de marque, les membres de la communauté Warhammer suivent une trajectoire de socialisation. Celle-ci les conduit à présenter un certain nombre de traits communs et à développer une idioculture propre (Fine, 1979 ; Schouten et McAlexander, 1995). Cette dernière est notamment visible dans un vocabulaire spécifique et incompréhensible pour les non-membres. Ceci permet le développement d’un entre-soi qui approfondi le sentiment d’appartenance et suscite une socialité communautaire.
L’intérêt du cas Warhammer tient au choix stratégique de la marque de construire, dès l’origine, une communauté de joueurs et d’entretenir avec eux des liens étroits. Ainsi les magasins sont conçus comme des lieux communautaires dans lesquels sont favorisés les échanges et les rencontres. De ce fait les relations entre la marque et la communauté sont nombreuses et passionnelles.
Cependant ces relations ne sont pas exemptes de questionnements et de contradictions. En effet, nos résultats indiquent une tension entre la dimension communautaire, valorisée par les membres, et la réalité marchande de la stratégie suivie par la marque. Cette tension souligne un aspect peu étudié des communautés de marque : celles-ci reposent sur une passion commune pour une marque, or la passion est opposée au calcul économique. Il existe donc une tension intrinsèque entre la socialité communautaire et l’aspect mercantile des échanges marchands. Cette vidéographie s’attache à montrer l’importance de la socialité communautaire pour expliciter les tensions qui émergent lorsque la sincérité et l’authenticité de la marque sont remises en question par les membres.
Nous montrons dans une première partie en quoi la communauté Warhammer est une communauté de marque. Nous présentons ensuite les caractéristiques de la communauté ainsi que ses relations avec la marque. Enfin nous exposons la tension entre la passion des membres et la dimension marchande de la marque.
La communauté de marque Warhammer
La communauté de marque. Les communautés de marque ont fait l’objet de nombreuses recherches depuis l’introduction du concept (Muniz et O’Guinn, 2001). Le développement des médias sociaux et des canaux de communication ont contribué à rendre ces groupements visibles et à susciter l’intérêt des managers. De nombreuses marques cherchent à créer leur propre communauté de marque et à constituer une base de consommateurs passionnés. Cependant, susciter une adhésion suffisante pour faire naître un sentiment communautaire n’est pas une tâche aisée et s’avère difficile à maintenir dans le temps.
Définie comme une « communauté spécialisée non géographiquement bornée et basée sur un ensemble structuré de relations sociales entre les admirateurs d’une marque » (Muniz et O’Guinn, 2001), la communauté de marque repose sur une socialité particulière entre les consommateurs. Celle-ci se caractérise par une grande proximité entre les membres Ces derniers ont conscience de l’existence du groupe, partagent un sentiment de responsabilité morale à l’égard de la marque et de la communauté et pratiquent des rituels communs (Muniz et O’Guinn, 2001).
La communauté Warhammer présente toutes les caractéristiques d’une communauté de marque. Les membres choisissent d’adhérer à l’identité collective de la communauté ; ils partagent un vocabulaire propre, des connaissances spécifiques ainsi que des codes sociaux particuliers (salutation, etc.). En outre, il est possible de repérer une hiérarchie entre les membres, basée sur leur intégration dans la communauté (Amine et Sitz, 2007). Cette communauté est intéressante car elle est inhérente au jeu de plateau lui-même. En effet, pour pouvoir jouer les individus doivent se rencontrer, échanger et, in fine, se socialiser.
L’appartenance à la communauté relève d’un choix. L’individu choisit délibérément d’adhérer et peut en partir quand il le souhaite. Cependant, la socialité communautaire génère un certain contrôle social des membres : quitter la communauté entraîne une rupture des relations communautaires.
Les liens étroits entre la communauté et la marque. Warhammer est caractérisé par une relation étroite entre les membres de la communauté et les représentants de la marque. En premier lieu, et comme dans le cas Harley-Davidson (Muniz et O’Guinn, 2001; Schouten et McAlexander, 1995; Sitz, 2006), les gérants de magasins sont des membres à part entière de la communauté. Ainsi ils prennent régulièrement en compte les avis de la communauté dans l’aménagement du magasin et dans l’organisation d’événements. Ils sont les interlocuteurs privilégiés des membres de la communauté qu’ils connaissent extrêmement bien.
De plus, la marque a très tôt fait le choix de prendre en considération les retours de ses consommateurs en écoutant les retours des membres importants de la communauté. Les représentants de la marque rencontrent régulièrement les membres, écoutent leurs avis et cherchent à les inclure dans le processus de développement. Les occasions de rencontre sont nombreuses et les échanges sont fructueux.
De plus, il existe une certaine porosité entre consommateurs et employés. Il n’est pas rare que des consommateurs passionnés choisissent de faire de leur passion un emploi rémunéré. Ainsi les employés des magasins sont pour l’essentiel des consommateurs du jeu qui ont choisi de faire de leur passion une profession.
Les liens entre la marque et la communauté permettent de susciter des pratiques génératrices de valeur (Schau, et alii., 2009). Ils permettent en particulier d’obtenir aisément des retours de la part de consommateurs qui souhaitent faire progresser la marque (Ind et alii., 2013; Mangelsdorf, 2009 ; Scaraboto et Fischer, 2013). Les membres de la communauté apprécient être reconnus par la marque. Leur attachement à la marque en est renforcé ainsi que leur statut au sein de la hiérarchie de la communauté. Plus un membre intéragit avec la marque et ses représentants plus il a accès à des informations et des éléments valorisés au sein de la communauté.
Résultats
Tensions et remises en cause. Les recherches sur les communautés de marque se sont principalement focalisées sur leur émergence (Amine et Sitz, 2007; O’Sullivan et alii., 2011; Swenson, 2016), leur fonctionnement (Algesheimer et alii., 2005; Muniz et O’Guinn, 2001) et leur définition (Fournier et Lee, 2009). Peu nombreuses sont les recherches qui ont porté sur les remises en question ou tensions qui pouvaient exister en leur sein (Luedicke et alii., 2010; Quester et Fleck, 2010).
Nos résultats indiquent que les tensions au sein de la communauté Warhammer sont importantes. Elles ne sont pas le seul fait de membres marginaux et/ou peu socialisés mais traversent la communauté dans son entier. Les remises en question ont pour origine une difficile conciliation entre la passion des membres et ce qu’ils perçoivent parfois comme une marchandisation excessive de la part de la marque. Ainsi l’aspect marchand de la relation menace la passion personnelle des membres car elle réintègre un sentiment non-marchand dans un rapport marchand.
L’intérêt de ce résultat tient dans la contradiction qu’il révèle entre un attachement émotionnel et désintéressé et des échanges marchands calculateurs et intéressés (El Euch et Roux, 2012 ; Seregina et Weijo, 2017 ; Zelizer, 1978). Les deux aspects sont contradictoires et lorsque cette contradiction devient visible, elle suscite des tensions (Fourcade et Healy, 2007). Les membres, passionnés par la marque, acceptent difficilement l’intérêt économique de la marque et le remettent en question (Radin, 1996 [2001). L’échelle de la passion est hors marché, sincère et dévouée ; les relations marchandes apparaissent comme insincères et froide (Seregina et Weijo, 2017 ; Scott et alii., 2017).
Ceci souligne l’importance de la sincérité et de l’authenticité perçues de la stratégie de marque par les membres. Ceux-ci acceptent le changement dans la mesure où il est considéré comme authentique aux valeurs, à l’héritage de la marque et sincèrement motivé par l’objectif de rendre la marque meilleure. A l’opposé tout changement dont la motivation apparait marchande aux yeux des membres est critiqué et remis en question.
De ce fait, les communautés de marque ne doivent pas s’entendre comme des groupes de consommateurs qui saluent et acceptent toutes les décisions de la marque. Elles sont aussi des gardiens de la tradition pour lesquels la marque se doit de préserver son authenticité (cf. Muniz et Schau, 2005). Ainsi la socialité communautaire s’oppose à l’objectif tacite des entreprises : la croissance pour la croissance. Au contraire, les membres des communautés de marque souhaitent une certaine continuité et une amélioration du sens de la marque (et non des ventes de cette dernière).
En outre, il existe une autre source de tensions : les différences générationnelles. Au-delà de la question de l’âge, ces différences s’appuient sur des différences idioculturelles : les plus jeunes développent des codes culturels différents de leurs aînés car leurs interactions sont différentes. Cette source de tension est intéressante car elle interroge sur la capacité de la communauté à faire cohabiter des membres aux expériences différentes.
Conclusion
Cette vidéographie montre la tension entre la socialité communautaire, désintéressée, et la relation marchande, intéressée. Elle montre ainsi un aspect souvent sous-estimé des phénomènes communautaires propres aux marques : la nécessaire tension entre la passion altruiste et le calcul marchand. Ce résultat est intéressant pour les chercheurs car il ouvre la voie à l’exploration des modes de résolution de ses tensions (cf. El Euch Maalej et Roux, 2012). En outre, il ouvre la voie à des recherches sur un aspect peu abordé en marketing : les échanges considérés comme marchands sont généralement connotés négativement. Au contraire sont valorisés les échanges perçus comme désintéressés ou avec une dimension sociale importante.
Pour les managers les résultats de cette recherche sont également intéressants car ils soulignent l’importance de l’authenticité et de la sincérité perçues par les membres de la communauté de marque. Il convient par conséquent de réussir à légitimer auprès des consommateurs les décisions stratégiques en utilisant un autre registre que le seul registre de l’efficacité marchande. Une marque comme Apple, longtemps présentée comme un modèle de marque iconique disposant d’une communauté de marque très unie voit aujourd’hui cette dernière s’évaporer. Les ventes sont excellentes mais la socialité communautaire est moribonde. Ceci pointe du doigt la difficulté de la gestion des marques dans les sociétés contemporaines dans lesquelles le moteur de la consommation n’est pas le calcul économique mais les envies et désirs issus des modes de vie des individus.
Références
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Keywords : Brand community ; Ethnography ; Videography ; Subculture of consumption