Cormelles le Royal, EMS, Collection Versus.
Introduction
Dominique Roux et Lydiane Nabec
Alors que notre société de consommation contemporaine n’a jamais été autant à l’écoute des individus pour satisfaire leurs besoins et leurs désirs variés, pourquoi est-il nécessaire aujourd’hui encore de s’intéresser à la protection des consommateurs ? Une première raison vient de ce que Schwartz (2004) appelle dans son ouvrage « le paradoxe du choix » : les consommateurs n’ont jamais eu autant le choix, pourtant celui-ci n’a aussi jamais été aussi complexe. Cette nouvelle complexité de l’offre crée de manière inévitable de nouvelles vulnérabilités chez les consommateurs ainsi que de nouvelles sources d’insatisfaction. La seconde raison découle des usages que font des consommateurs des offres qui leur sont faites sur les marchés : ils se les approprient, en détournent les usages et ré-inventent de nouvelles pratiques de consommation (de Certeau, 1990). Ces nouvelles pratiques de consommation qui émergent au quotidien nécessitent une réinvention perpétuelle des formes de protections des consommateurs.
La nécessité de protéger les consommateurs est ainsi plus que jamais une réalité. Malgré les dispositifs de protection existants, on constate de nombreux dysfonctionnements dont ils sont les victimes : hausse des tromperies et des arnaques commerciales, émergence de problèmes de santé publique liés à la consommation (toxicité de composants pour l’environnement, faiblesse de la qualité nutritionnelle de certains produits alimentaires), phénomène de surendettement. L’indicateur de confiance des ménages français s’est globalement dégradé et demeure en dessous de sa valeur moyenne observée sur les 17 dernières années selon l’Insee[1]. Dans ce climat de morosité, plus d’un tiers des Français n’accordent plus leur confiance aux entreprises (Etude TNS-Sofres, 2013[2]).
Pour comprendre comment améliorer la protection des consommateurs face aux nouvelles pratiques de consommation émergentes, revenons sur l’histoire du dispositif existant. La protection des consommateurs s’est organisée en France dans le sillage de l’économie américaine, des chantiers de reconstruction du Plan Marshall et du développement de la consommation de masse. Les années 1950 à 1970 ont vu en France la création d’instances de représentation et de défense des consommateurs – l’Union Fédérale de la Consommation, devenue en 1951 l’Union Fédérale des Consommateurs (UFC), le Comité National de la Consommation (CNC) créé 1960, l’Institut National de la Consommation (INC) en 1966 et le secrétariat d’Etat à la consommation en 1976. C’est dans cette période d’intense activité qu’ont été agréées les 15 associations de consommateurs qui forment encore aujourd’hui le mouvement consumériste tel qu’il s’est dessiné il y a plus de soixante ans. Engagement citoyen au même titre que d’autres combats – féministes, pacifistes, environnementalistes, anti-mondialistes (Hilton 2005), le consumérisme traduit les efforts des associations et de leurs membres, bénévoles ou salariés, engagés dans la défense et la protection des consommateurs.
Mais l’âge d’or du mouvement consumériste semble révolu. Se dessinent aujourd’hui deux sources de protection des consommateurs qui participent à la fois à leur information et à leur défense. La première est issue du cadre légal et réglementaire – le Code de la consommation en particulier – qui veille à la protection de ses intérêts en amont ou en aval de l’achat. La seconde émane des formes de responsabilité individuelles et collectives des consommateurs, qui s’organisent souvent eux-mêmes pour se protéger. En partageant des informations sur des forums, en dénonçant des abus ou dérives de certains professionnels, en s’échangeant des « bons plans » pour contourner les circuits traditionnels, en privilégiant des modes de consommation « entre soi », les consommateurs ordinaires participent aussi à leur manière à la protection plus ou moins formalisée de leurs intérêts. Les associations de consommateurs font donc face, désormais, à de nouveaux enjeux.
Par ailleurs, le rythme des innovations, le développement des nouvelles technologies et l’ouverture des marchés, mais aussi de nouvelles attentes en matière sociale, environnementale et éthique impactent les manières de consommer. Les modèles consommatoires évoluent. C’est à leurs émergences et leurs effets sur la consommation (chapitre 1), mais aussi aux réflexions juridiques (chapitre 2), politiques (chapitre 3) et consuméristes (chapitre 4) qu’entraîne la fragmentation des modes de consommation que s’attache la première partie de cet ouvrage.
Ces transformations vont également de pair avec une accélération de la circulation de l’information, une multiplication des sources au moyen desquelles les consommateurs s’orientent sur les marchés, et des questionnements fondés sur la crédibilité relative de ces données. La deuxième partie de l’ouvrage aborde ainsi la question de l’information et de ses dispositifs comme pivot central de la protection des consommateurs en amont de l’achat. Alors que les acteurs consuméristes traditionnels jouissaient sur ce point d’une légitimité bien établie, la question de l’information prend aujourd’hui une tournure nouvelle. Entre obligation d’information des professionnels (chapitre 5) et altération des avis en ligne (chapitre 6), la réalité montre d’abord la difficile construction de la confiance entre consommateurs et acteurs marchands. Cette inégalité latente en matière d’information est au cœur d’une réflexion sur une population en particulier – celle des seniors – dont les déficits cognitifs relatifs, mais croissants, les mettent potentiellement en situation de vulnérabilité (chapitre 7). Cherchant à éclairer la manière dont les associations de consommateurs peuvent renforcer l’efficacité de leur communication auprès de leurs publics, le chapitre 8 montre alors très concrètement en quoi l’appel aux émotions dans les messages consuméristes participe à leur meilleure mémorisation. Dans le domaine alimentaire, les modes de consommation mondialisés et massifiés soulignent les défis posés au droit dans l’encadrement des pratiques industrielles de production (chapitre 9). Symétriquement, alors que l’étiquetage nutritionnel vise à plus de transparence et d’engagement des consommateurs dans leurs choix de produits, les modalités même de présentation de ces informations et la manière dont les consommateurs en font usage dénotent une conscience variable de l’information utile à la décision d’achat (chapitre 10).
Enfin, embrasser les problématiques de protection des consommateurs à l’heure des nouvelles émergences ne saurait se passer de l’examen des modalités de leur défense, au-delà des questions d’information abordées plus haut. Aussi, la troisième et dernière partie de cet ouvrage est-elle consacrée à la question des capacités et incapacités des consommateurs à faire valoir leurs droits. Une approche d’ensemble retrace tout d’abord les péripéties de consommateurs insatisfaits et les raisons du basculement de la réclamation en litige, mais aussi la manière dont ils parviennent dans certains cas à enrôler d’autres plaignants et à construire un réseau éphémère mais puissant de parties prenantes autour de leur défense (chapitre 11). Considérant l’importance d’Internet, mais cette fois dans sa dimension potentiellement intrusive, c’est la question de la vulnérabilité face à la publicité qui est posée dans ce contexte, de mêmes que les profils de cyber-consommateurs qui s’en dégagent et les implications qui en découlent pour les associations de consommateurs (chapitre 12). Enfin, nous ne saurions conclure cet ouvrage sans un examen approfondi de ce que l’action de groupe va changer, à la fois pour les consommateurs, mais aussi pour les associations qui en seront les représentants dans ces nouvelles formes de réparation collective (chapitre 13). A l’issue de ces treize chapitres, la postface de Marie-Emmanuelle Chessel permet de mettre notre réflexion sur la protection du consommateur dans une perspective historique dont découlent des pistes de recherches pertinentes pour la suite. Nous espérons dans cet ouvrage avoir brossé un panorama certes parcellaire, mais dynamique, d’une série de mutations qui ensemble dessinent de nouvelles pratiques, de nouveaux risques et de nouveaux enjeux à la fois pour le législateur, les professionnels, le mouvement consumériste et les consommateurs eux-mêmes. Nous espérons que le lecteur y trouvera matière à réflexion, que ce soit pour sa compréhension des mutations du monde de la consommation ou dans les usages qu’il peut en faire au sein de sa pratique.
[1] INSEE, Informations rapides, 25 février 2015, N°41. L’indicateur synthétique de confiance des ménages atteint le score de 92 en février 2015 relativement à la note moyenne de 100 calculée entre janvier 1987 et décembre 2013.
[2] Le baromètre de la confiance – vague 6, TNS-Sofres – Comité de la Charte, 20 septembre 2013.