La consommation, on le sait depuis Michelet (Le Peuple, 1846), est un de ces objets complexes dont on ne peut faire l’histoire qu’en tirant de multiples fils. C’est pourquoi ce livre qui brasse large et refuse les simplifications, fait se rencontrer une histoire économique qui s’intéresse à l’offre de produits et à leur commercialisation, une histoire sociale attentive aux choix des individus, aux inégalités de répartition et aux modèles socialement différenciés de consommation, et enfin une histoire culturelle qui s’attache au sens que prend leur possession pour les individus et les groupes. Le rapport aux objets où s’investissent nos désirs et nos besoins est au cœur de cette histoire. Aussi ce livre retrace-t-il les transformations de notre monde matériel depuis le milieu du XIXe siècle en articulant production et consommation, conditionnements sociaux et autonomie du consommateur, culture matérielle et représentations symboliques. Au lieu de les traiter comme de simples figurants, il met les consommateurs au centre du tableau avec pour objectif de restituer leur expérience en multipliant les micro-récits. Il montre comment ils s’approprient les objets – de la lessiveuse au smartphone en passant par la bicyclette, le presse-purée et le blue jean – dans une dialectique qui associe répétition de gestes routiniers, imitation qui fait circuler les nouveautés et invention de nouveaux usages. En décrivant les modes de consommation des différentes catégories sociales, il fait ressortir que la hausse des niveaux de vie n’homogénéise pas leurs habitudes de consommation car ils font des choix de consommation différents en fonction de leurs ressources économiques et culturelles. Même si l’histoire de la consommation peut se lire comme celle de la conquête progressive du bien-être, ce n’est pas celle d’un progrès linéaire mais des étapes successives de l’élargissement et de la diversification des besoins jusqu’au triomphe de la consommation de masse pendant les Trente Glorieuses et à sa remise en cause aujourd’hui au nom de la défense de l’environnement. Et c’est parce que l’histoire de la consommation n’est pas anecdotique qu’elle peut éclairer les enjeux de notre temps.
Jean-Claude Daumas est professeur d’histoire émérite à l’université de Franche-Comté, membre honoraire de l’IUF.
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