Destinée des objets : un autre regard sur le gaspillage

Dominique Roux et Marie Schill

Université de Reims Champagne-Ardenne

Le gaspillage d’objets est une réalité qui, aujourd’hui, n’est saisie qu’au travers de la mesure de la production de déchets des ménages (ADEME, 2016a). Ainsi, 30 millions de tonnes de déchets sont produits « en routine », sous la forme d’ordures ménagères en mélange et de déchets encombrants collectés sélectivement en porte-à-porte ou en apport volontaire. Bien que les déchets ménagers ne représentent que 8,6 % de la production totale de déchets en France, ils étaient néanmoins estimés en 2013 à 458 kg par habitant (ADEME, 2016a). Une telle appréhension du gaspillage d’objets est toutefois incomplète car elle ne tient compte que de leur récupération en aval de la consommation. Delacroix et al. (2017) montrent cependant que des achats surnuméraires ou inutiles, de même qu’un usage incomplet des produits sont aussi perçus comme des formes de gaspillage. Sur cette base, on définira le gaspillage d’objets comme lié à trois temporalités : l’acquisition de produits achetés ou reçus, le fait de ne pas les utiliser et leur débarrassage.

L’objectif de ce documentaire est donc d’explorer si/comment le gaspillage d’objets est appréhendé par les individus au travers de leurs pratiques. Il répond plus précisément aux deux questions de recherche suivantes : quel sens les individus donnent-ils au gaspillages des objets ? Comment celui-ci se traduit-il concrètement dans leur pratiques et par quels mécanismes s’instaure-t-il ? Ce questionnement ancré dans la théorie des pratiques (Hui, Schatzki et Shove, 2017 ; Reckwitz, 2002 ; Schatzki, 1996, 2002 ; Warde, 2005) est d’importance. En effet, si le gaspillage ressort comme une pratique ordinaire dans la vie les individus, il est probable qu’il apparaisse alors comme « normal », sinon inévitable, légitimant du même coup un système qui le produit, l’organise et le gère (Lupton, 2011). Avec comme perspective de freiner ou d’enrayer le gaspillage d’objets, plusieurs questions sont soulevées dans cette recherche : quels sont les « faire » produisant du gaspillage ? Comment les consommateurs gaspillent-ils et que gaspillent-ils ? Face à la conscientisation du gaspillage alimentaire que les discours publics (ADEME) ont amorcée, quelles significations les individus donnent-ils au gaspillage d’objets ? Ce dernier étant fortement lié à des pratiques de consommation qui les ont conduits à acquérir/recevoir des objets qu’ils n’utilisent pas/plus et dont ils souhaitent ou non se débarrasser, on montrera que c’est au travers des pratiques et de ses temporalités – l’acquisition volontaire ou non d’objets, leur désintégration des pratiques, puis leur désintégration ultérieure des espaces – que se lit le gaspillage des objets.

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